Bonjour Yohann, enchantée ! Vous travaillez depuis longtemps sur ce sujet des stations de montagne, dès 2005. Comment le sujet a-t-il évolué depuis 20 ans ?
Yoann : Dès les années 2000, les stations situées à basse altitude, autour de 1000 mètres, connaissaient déjà des gros problèmes d'enneigement et d'impact du changement climatique déjà à cette époque sur ces territoires. À l'époque, la solution était la diversification des activités. Il fallait penser à d'autres choses que le ski alpin. Mais en réalité, ce n'était pas si évident de penser à d'autres types d'activités et cela créait d'énormes tensions car les territoires étaient beaucoup structurés autour du ski alpin, qui a longtemps été et continue d’être une manne financière importante.

Comment les stations ont-elles fait pour se réorienter ?
Yoann : Il y a eu différents cas. Par exemple, j'ai étudié la Chartreuse, et en particulier le plateau des Petites Roches près de Grenoble. Ils avaient un autre attrait touristique, notamment le vol libre, car Saint-Hilaire-du-Touvet est un gros spot de parapente et de vol libre depuis la fin des années 70. Ils ont pu réorienter leur activité autour de cette activité. Mais cela reste un cas particulier.

“Certaines stations de Chartreuse ont réussi leur transition grâce à leur diversification vers d’autres activités”
Avez-vous un exemple d’une station qui a réussit sa métamorphose ?
Yoann : Certains territoires, ceux qui ne sont pas mono-activités, ont réussi à se diversifier plus facilement parce qu'ils avaient déjà une autre activité phare et visible implantée sur leur territoire. Cela leur a permis de basculer plus facilement vers une activité de type 4 saisons. Par exemple, la station du Col-du-Coc, plus haut col routier du Massif de la Chartreuse, était déjà fermée en 2005. Des collectifs locaux voulaient relancer cette station, mais sans les budgets et l'enneigement suffisant, elle a été définitivement fermée. Les remontées mécaniques ont été démontées. Mais ce territoire est resté attractif pour d'autres activités comme la randonnée, le VTT, l'escalade et le parapente. C’est toute cette diversification qui a facilité la transition.

Quels sont les défis actuels pour les stations de moyenne et haute altitude ?
Yoann : La solution souvent pensée a été le technosolutionnisme, c'est-à-dire miser sur des solutions technologiques comme l'enneigement artificiel. La région Rhône-Alpes-Auvergne a beaucoup investi dans cette logique avec le plan Neige2. Mais aujourd'hui, cela devient compliqué car les températures actuelles rendent l'enneigement artificiel ardu, même pour des stations situées entre 1500 et 2000 mètres. Surtout, il y a un changement de point de vue parmi les populations locales, qui sont de plus en plus opposées à l'artificialisation de la montagne. Par exemple, dans les Alpes, des acteurs locaux et des collectifs se battent pour qu'on arrête cette exploitation de la montagne à outrance.
Justement. Qui sont ces collectifs et que défendent-ils ?
Yoann : Ces collectifs ne sont pas uniquement présents en montagne. Ils ressemblent à ceux qui s'opposent à des projets comme les éoliennes. Ce qui est nouveau, c'est l'émergence de nombreux collectifs locaux à chaque projet d'aménagement important en montagne, pour défendre d’autres types de tourisme et mettre en lumière les difficulté des sites alpins. Ces collectifs se structurent rapidement, mènent des actions militantes visibles sur les réseaux sociaux, sur Internet et dans les médias. Cette dynamique est en pleine expansion depuis 5-6 ans.
“Dans les montagnes, l’espoir d’un renouveau pourrait venir du tourisme estival”

Comment cela pourrait-il évoluer dans les prochaines années ? Y a-t-il de l'espoir pour ces acteurs du tourisme ?
Yoann : L'espoir pourrait venir du tourisme estival, qui fonctionne bien. Après le Covid, il y a eu un engouement pour le tourisme de proximité et les activités sportives de nature, mais pas forcément le ski. Cela pourrait inciter les acteurs de la montagne à exploiter leur potentiel attractif pour d'autres activités que le ski alpin. Il faut aussi repenser les aménagements pour le tourisme d'été, en les rendant moins coûteux et plus écologiques.
“On ne peut plus développer une offre touristique uniquement destinée à des touristes venant de très loin”
Comment les acteurs du tourisme doivent-ils modifier leur activité ?
Yohann : Une solution pourrait être de prendre conscience du potentiel des territoires pour d'autres périodes de l'année, où très peu d'investissements ont été faits. Les stations de montagne ont souvent développé le tourisme d'été en calquant le modèle hivernal, en exploitant les remontées mécaniques pour le VTT de descente ou l'accès aux refuges. Il serait plus judicieux de penser à des aménagements plus doux, moins coûteux pour les finances publiques et plus écologiques, en organisant des événements et en créant des boucles de randonnées et de VTT de manière différente. Peut-être que les acteurs ne s'y engagent pas suffisamment.

Et les pouvoirs publics, dont vous dites qu’ils injectent beaucoup d’argent dans les stations actuelles et le ski alpin, comment peuvent-ils accompagner cette transition ?
Yoann : L'enjeu principal est de créer des instances de débat et d'échange sur ce que les acteurs veulent pour leur territoire. Ces instances participatives pourraient servir de lieux d'expression de points de vue contradictoires, qui n'existent pas toujours.
En outre, pour avoir beaucoup travaillé sur le littoral et la randonnée, j'observe que les territoires se mettent souvent en concurrence les uns avec les autres pour accroître leur visibilité avec des stratégies de marketing territorial. Cette logique n’est pas pertinente. Il serait plus judicieux de penser à la complémentarité des territoires.
Un autre point important est le développement du tourisme de proximité, qui est un véritable enjeu pour un tourisme décarboné. On ne peut plus développer une offre touristique uniquement destinée à des touristes venant de très loin. Il faut mettre les acteurs autour de la table et réfléchir à des stratégies de territoire cohérentes. La période post-Covid a montré que le tourisme de proximité peut fonctionner, mais cela nécessite une concertation et une planification stratégique.
“Le ski alpin tel qu'on l'a connu est en déclin et se transforme en un tourisme sportif de luxe”
Mais les Français sont-ils prêts à faire moins de ski ?
Yohann : Je ne sais pas s'ils sont prêts, mais c'est une réalité sociologique. Après, il faut savoir que moins de 10 % des Français vont skier. L'activité ski se recentre autour des grandes stations, et le prix des forfaits a presque doublé ! Le ski alpin tel qu'on l'a connu est en déclin et se transforme en un tourisme sportif de luxe, un tourisme de niche. Beaucoup de gens se détournent du ski parce qu'ils n'ont plus les moyens de pratiquer.

“La randonnée en montagne est une alternative notable*”***
Vers quelles activités se tournent les gens alors ?
Yohann : La randonnée est une alternative notable. Pendant la période du Covid, on a observé un énorme pic d'intérêt pour la randonnée. C'est déjà la première activité physique pratiquée par les Français. Et derrière le terme "randonnée", il faut savoir qu’i y a une grande diversité de pratiques, allant de petites promenades à du trekking ou même du trail. Cela touche un public très large et varié, notamment grâce aux outils numériques et aux applications, qui l’ont rendu plus accessible et plus familial. Les sentiers de grande randonnée comme le GR5, le GR20, et le chemin de Stevenson sont bien identifiés et très populaires.
Mais comment éviter que ces sentiers ne soient soumis au surtourisme ?
Yohann : C'est une problématique complexe. Il faut gérer les flux de visiteurs pour éviter les impacts négatifs sur l'environnement et les conflits d'usage. Des stratégies peuvent inclure la canalisation des sentiers, la gestion des zones sensibles et la sensibilisation du public à des pratiques respectueuses de l'environnement.

